VUE DE L'INTERIEUR


HISTORIQUE : Chaque  souffrance se vit de l'intérieur.

 

Chaque personne est unique et même si nous pouvons nous trouver des points communs entre patients, je ne saurais parler pour les autres. Je vais donc tenter d'expliquer à quoi ressemble mon propre intérieur, sans vous raconter ma vie dans le détail, je vous rassure.

 

J'ai choisi ce tableau parce qu'il m'a d'emblée rappelé mon cerveau et ses connexions souvent troublées ou défaillantes, mes nœuds cérébraux, cognitifs, émotionnels avec en toile de fond, la couleur du sang, de la vie, de l'amour.

 

  • Des causes au déclenchement

 

Lors d'une longue séance avec le psychologue de la clinique, la question suivante j'ai posé :

 

- " D'après vous, quelle est la cause de ma bipolarité ? "

- " Je pense que c'est votre trouble de la personnalité borderline qui a fait le nid de votre bipolarité. "

 

Cette réponse m'a considérablement éclairée et m'a permis de saisir à la fois les liens et les différences entre ces deux pathologies. Reliées l'une à l'autre, progressant au cours des années, la première m'a fait vivre une instabilité affective chronique et l'autre des montagnes russes.

 

Le trouble de la personnalité borderline a donc été le premier à se manifester.

Des événements traumatiques se sont produits entre 10 et 34 ans, parfois à intervalles proches : environnement déstabilisant et traumas familiaux, abus sexuels, 3 deuils successifs , le suicide de mon premier amour après que je l'eus quitté, puis la mort de mes parents, rencontre avec un pervers-manipulateur-narcissique.

 

Ces événements sont selon moi les causes réelles qui ont déclenché ce trouble. MAIS...

 

Quand je remonte à ma toute petite enfance, je me souviens très précisément de grands moments de détresse et d'anxiété.

A deux ans, je ne supportais pas d'être séparée de ma mère ne serait-ce que 5 minutes. Je la collais, comme on dit et je cherchais à éloigner ceux qui s'approchaient d'elle lorsque j'étais dans ses bras. Je me sentais également étrangère à ma famille, j'avais du mal à trouver ma place car étant la petite dernière, il m'était insupportable de penser que mes parents et mes frères avaient eu une vie sans moi. Je me souviens aussi très fortement du sentiment d'abandon que j'éprouvais parce qu'on me laissait seule, dans mon lit, tandis que je pleurais toutes les larmes de mon corps  et parce que mon père "était là sans être là" lorsqu'il était sensé s'occuper de moi .

 

Y avait-il donc, avant même les traumas, une sorte de "prédisposition" au trouble de la personnalité ? Les liens affectifs étaient vécus de manière très complexe pour moi, j'avais des crises de colère régulièrement et je pleurais beaucoup.

 

L'environnement familial : une maman dépressive masquée ( sous Lexomil ), un papa bipolaire et un frère aîné mélancolique probablement autiste. Aucun n'a été diagnostiqué, mais j'ai tout ressenti telle une éponge.

 

Histoire familiale  et traumas  semblent être les causes de mes troubles. Je dis "mes", car bien des personnes ayant vécu d'autres traumas ou ayant connu une vie plus difficile ne développeront peut-être jamais de pathologie. Il n'existe pas de hiérarchie dans la souffrance, il ne sert à rien de nous comparer sur ce plan là, cela contribue même à nous faire culpabiliser.

 

Nous ne sommes pas tous égaux dans la gestion de notre psychisme et de nos propres ressources.

 

 

MES MANIFESTATIONS DE LA BIPOLARITÉ ET DU TROUBLE DE LA PERSONNALITÉ LIMITE BORDERLINE

 

  • L'apparition de l'Autre en Soi

C'est vers 13 ans que j'ai senti naître l'autre en moi. Tantôt l'enfant sage, solaire, studieuse , tantôt l'enfant en détresse scolaire, dépassant les limites autorisées, pratiquant le mensonge souvent sans raison, attirée par le monde des adultes en souffrance et en déséquilibre affectif.

 

L'autre commençait à prendre sa place en moi. Le père absent, ( sentiment d'abandon ), j'ai fait vivre à ma mère un enfer.

 

A cette époque j'étais capable de lire Zola mais je dévorais comme beaucoup d'adolescents, Le journal d' Anne Franck, Moi 13 ans, droguée prostituée, L'herbe bleue, Le voyage à Katmandou... et plus tard je me suis reconnue dans la lecture de Camille Claudel, et dans certaines scènes de films où l'actrice principale était en proie à ses troubles ( 37.2 le matin, Je vous aime, Possession, L'été meurtrier, L'été en pente douce et surtout, le film canadien Borderline vu à 40 ans et qui m'a bouleversée tant je me suis reconnue. )

 

  • Les manifestations de mes troubles furent diverses mais récurrentes :

 

 

- Prise de cannabis entre 16 et 17 ans

- Histoire d'amour passionnée avec un garçon héroïnomane,

- Plusieurs auto-mutilations et tentatives de suicide dès l'âge de 17 ans après le suicide de mon petit ami

- Hospitalisations en psychiatrie à 17 ans

- Recherche permanente d'amour

- Incapacité d'engagement affectif stable

- Sexualité active et troublée, ruptures et infidélités chroniques

- Dépressions majeures

- Crises de rage et changements brusques d'humeur

- Dépression post-partum avec TS et coma

- Altérations de la mémoire et de la concentration

- Perte de repères spatio-temporels

- Fort sentiment d'être étrangère et différente des autres

- Empathie excessive

- Maturité  émotionnelle précoce

- Trouble profond de mon image

- Dévalorisation et manque de confiance en soi

- Profond sentiment de solitude et de perte de soi

- Crises de décompensation

 

Le point que je retiens dans tout cela, c'est la difficulté des liens interpersonnels et la propension à vivre la douleur et à dépasser mes limites. Me lier et me délier est un processus qui me poursuit et que je soigne peu à peu. Il est intéressant de noter qu'après 40 ans, le trouble borderline disparaît, surtout si l'on s'en est occupé !

Une phrase anodine pour la plupart des gens, un événement heureux ou malheureux, une injustice, une émotion forte, me faisaient généralement basculer dans un état de colère, de profonde tristesse, d'agressivité, de perte de confiance.

Mes émotions s'emparaient de moi jusque dans ma chair, je ne parvenais pas à relativiser, je me sentais visée, attaquée, blessée, et j'élaborais tout un tas d'interprétations négatives ( pensées automatiques ) que je ne parvenais pas à transformer.  (C'est précisément la psychoéducation qui m'a beaucoup aidée à avancer et à "corriger" cela.)

Physiquement, mon cœur se déchirait, sa douleur atteignait mon ventre, mon utérus, me nouait la gorge et libérait à la fois des cris et des pleurs insurmontables.

 

C'est comme si soudainement, il n'y avait plus d'amour pour moi, envers moi, plus d'attention, de respect et de considération de ma personne. Je me sentais abandonnée tout en cherchant en permanence les relations affectives.

 

 

  • EROS & THANATOS : Dieu de l'Amour et Dieu de la Mort

 

Je devais faire l'amour à tous les hommes mais je me vivais en objet et n'y prenais pas  vraiment plaisir. Je ne savais pas dire non au désir de l'autre ni au mien. Je voulais semer de l'amour en chacun d'entre eux, comme par boulimie affective pour réparer sans-doute le traumatisme sexuel.

J'étais dans le même temps aspirée par une pulsion de mort.

 

Dans chacune de mes phases montantes ( bipolarité ), ce même comportement revient. Je crée une rupture affective, puis je revendique haut et fort ma liberté sexuelle. S'ensuit une phase progressive de dépression insurmontable, de sentiment d'abandon et de grande solitude, qui m'ont souvent valu des hospitalisations en psychiatrie .

 

Lire  : manie et dépression

 

L'on voit bien ici comment Trouble de la Personnalité et Bipolarité cohabitent. Mes phases d'excitation sont à la fois intellectuelles, créatives et sociales. Je suis forte, pleine d'énergie, j'ai un super pouvoir, j'irradie, mais le sous-marin n'est jamais très loin.

 

Parce que je ne pourrais pas mieux exprimer cette dualité entre pulsion de vie et de mort, je vous invite à lire cet article :

http://www.dualisme.com/eros-et-thanatos.html

 

 

  • LES ÉMOTIONS ET LEUR IMPOSSIBLE COHABITATION

" Sans elles, la vie serait un film en noir et blanc. Pas un cauchemar, plutôt un long fleuve infiniment tranquille, lisse et terriblement dangereux. Car, si les émotions donnent des couleurs à la vie, elles fondent aussi notre indispensable et constante capacité d'adaptation au monde qui nous entoure, nous presse, nous perturbe ou nous réjouit.

Sans cesse, elles entretiennent un dialogue avec notre corps, notre cerveau, notre environnement. Elles tissent la toile ténue ou pesante de nos états d'âme.

L'évolution les a ancrées profondément dans les méandres de notre cerveau, car elles ont permis à l'homme d'améliorer ses capacités de survie. Sensations ultra-familières, la peur, la colère, la joie, la tristesse sont aujourd'hui dans le collimateur de la science, qui multiplie les découvertes sur leurs mécanismes, leur chimie, leur rôle dans le grand concert que dirige notre cerveau (...) "

http://www.lexpress.fr/actualite/sciences/emotions-ce-que-la-science-nous-revele_494466.html

 

 

 

 

La gestion de nos émotions est donc essentielle lorsque celles-ci nous submergent au point de mettre à mal notre équilibre psychique. Pour la patiente Borderline et Bipolaire que je suis, mes émotions conditionnent mon comportement au quotidien, en ce sens qu'elles provoquent en moi des sentiments, des réactions et des besoins surdimensionnés et sans filtre. Cet état émotionnel s'est régulé grâce au traitement médicamenteux que je prends chaque jour.

Non identifiées et non exprimées, les émotions prennent toute la place en nous.

 

La thérapie est alors un outil précieux pour apprendre à gérer nos émotions, à les identifier et à faire varier nos pensées automatiques.

 

  • LES VARIATIONS DE L'ESPOIR

Lorsqu'on parle de Bipolarité, les variations de l'humeur sont au centre du sujet. Alternance de phases dépressives, stables, hypomaniaques, et maniaques, nos pics plus ou moins hauts nous perturbent et ont des conséquences sur notre vie.

 

Je parle des variations de l'espoir, car ces phases récurrentes font également varier nos phases d'espoir. Entre résignation totale et espoir surdimensionné, la succession de vagues altère notre équilibre psychique et socialUne vie en montagnes russes qu'il est impossible de calmer sans aide.

 

  • ÊTRE LA MALADIE OU SOUFFRIR DE LA MALADIE

La plupart des patients se présentent en disant :

" Je suis borderline ", " Je suis bipolaire ", " je suis dépressif " .  Et j'en ai fait partie.

 

Le jour où j'ai compris, avec l'aide de mon psychiatre, que je ne voulais plus que la maladie viennent perturber mes relations affectives, j'ai saisi la différence entre être la maladie et Souffrir de la maladie.

Depuis, je dis que  je souffre de bipolarité.

 

Si ceci paraît évident lorsqu'on le dit, bon nombre des patients ne font pas cette différence et même les médias les présentent comme tels. Pourtant lorsque je souffre d'une migraine, je ne suis pas la migraine, ou encore je ne suis pas le cancer.

Les maladies psychiques induisent que nous sommes la maladie parce qu'elles siègent dans notre cerveau. Le cerveau souffre sans que pour autant, notre personnalité soit remise en cause. Opérer cette différence est essentielle afin que les patients ne s'enferment pas dans la maladie au point de s'y identifier.

 

Les personnes en souffrance psychique ont comme chacune d'entre nous, leur propre personnalité, leur histoire personnelle. En tenir compte est selon moi une marque de respect indispensable de leur personne à laquelle chacune d'entre elles à droit. La catégorisation des maladies ne facilitent pas cet aspect, car elles enferment le patient au point d'oublier qui il était avant et qui il est aujourd'hui.

 

Souffrant déjà d'un manque d'estime de soi, le patient a besoin de cette reconnaissance qui est le point de départ de la restauration de sa  Pyramide du Soi.

 

 


" Il y a une souffrance, une jubilation, une solitude et une terreur propres à ce type de folie.
Dans les envolées, c’est fantastique. Les idées et les émotions fusent à la vitesse des étoiles filantes. On les suit, on les lâche, on en trouve de meilleures qui brillent encore plus. La timidité s’en va, les mots et les gestes exacts vous viennent à point nommé. Le pouvoir de captiver les autres est une certitude intérieure. On trouve de l’intérêt aux gens inintéressants.
La sensualité est omniprésente, comme est irrésistible le désir de séduire et d’être séduit. Une impression de facilité, d’intensité, de puissance, de bien-être, d’opulence et d’euphorie vous gagne jusqu’à la moelle.
Et puis soudain ça change. Les idées folles sont trop nombreuses et vont trop vite. La lucidité fait place à une confusion accablante. La mémoire disparaît. Sur le visage des amis, l’inquiétude remplace l’amusement et la fascination. Tout ce qui marchait tout seul va maintenant à contre-courant - on devient irritable, mauvais, craintif, insupportable, totalement égaré dans les plus sombres cavernes de l’esprit. On n’était pas au courant de l’existence de ces cavernes. Et cela n’a pas de fin, la folie creusant elle-même sa demeure. Ça continue de plus belle et, bientôt, comme la manie vous fait au moins la grâce d’effacer partiellement les souvenirs, vos comportements stériles, frénétiques et incongrus n’existent plus que dans la mémoire des autres. Et ensuite ? Après les médicaments, le psychiatre, le désespoir, la dépression, l’overdose ? Tout le fatras de sentiments à trier. Qui est trop poli pour dire quoi ? Qui sait quoi ? Qu’est-ce que j’ai fait ? Pourquoi ? Et (plus obsédant) quand cela va-t-il recommencer ? Ensuite, aussi, viennent les désolants pense-bêtes médicaments à prendre, à refuser, à oublier, à prendre, à refuser, à oublier, mais toujours à prendre. Les cartes de crédit supprimées, les explications à fournir au travail, les excuses à formuler, les souvenirs intermittents (mais qu’est-ce que j’ai fait ?), l’amitié perdue ou lassée, un mariage détruit. Et toujours : quand cela va-t-il recommencer ? Lesquels de mes sentiments sont vrais ?
Quel moi est moi ? Le moi brut, impulsif, chaotique, débordant d’énergie, complètement marteau ? Ou le moi timide, renfermé, désespéré, suicidaire, défaitiste et exténué ? Sans doute un peu des deux, en espérant ni l’un ni l’autre.

Virginia Woolf a tout dit de ses propres montées et descentes vertigineuses : « Dans quelle mesure nos sentiments naissent-ils du vide sur lequel nous vivons ? Qu’y a-t-il de réel en tout cela ? »

 

De l’exaltation à la dépression, Kay Jamison - Photo de Virginia Woolf ( google image )

http://www.unafam.org/De-l-exaltation-a-la-depression.html