DERRIÈRE LES MURS

Le couloir d’un hôpital - Julen/Flickr/CC

Un jour, j'écrirai un livre dont le titre sera : Derrière les murs, l'Humanité.

 

Après 8 hospitalisations en 30 ans ( on peut faire la moyenne pour avoir une idée mais certaines hospitalisations ont été rapprochées ), j'ai effectivement besoin et envie de parler de ce que j'ai vécu derrière les murs, moi seule puis avec les autres patients.

 

Vous voyez ce grand couloir aux belles perspectives sous les néons ? Ce sont les couloirs que nous empruntons, arpentons, où nous nous figeons parfois plusieurs fois par jour. Certaines cliniques sont plus modernes ou plus belles que les autres, mais toutes ont des tas de couloirs et des étages, comme beaucoup d'autres cliniques non psychiatriques d'ailleurs.

 

En psychiatrie, notre regard sur eux n'est pas le même car il ne s'y passe pas les mêmes choses.

 

 

 

  • LA PALETTE SOCIALE
Tous les milieux sociaux sont représentés.

Au premier coup d’œil et parce que nous avons tous des clichés concernant les malades hospitalisés en psychiatrie, ce sont leurs regards qui nous troublent en arrivant. La plupart des visiteurs baisse les yeux en les croisant.

Bien sûr, vous n’êtes pas à l’entrée du Club Med et il y a bien peu de chances qu’ils vous sourient ou vous souhaitent la bienvenue. Néanmoins, ils savent dire Bonjour !

Ces regards qui vous troublent, ce sont ceux de vous et moi. Nés dans un bidonville ou chez Mr et Mme De… ils font partie de la palette de notre société : ados, adultes, personnes âgées, chômeurs, étudiants, dirigeant(e)s d’entreprise, journalistes, dentistes, agriculteurs, professeurs, artistes, employés du social, femmes de ménage,  retraités, rescapés de la guerre, migrants, ETC...

 

Je n’ai jamais rencontré autant de diversité humaine qu’en cet endroit.

 

 

  • LES MURS

 

Ils sont isolés du reste du monde par des murs, des grilles et souvent des barreaux aux fenêtres, même si certaines cliniques sont à  "milieu ouvert " :

 

HÔPITAL PSYCHIATRIQUE / CLINIQUE PSYCHIATRIQUE… aux noms parfois jolis ou poétiques, se référant parfois au quartier, à la ville ou portant le nom du groupe privé qui en est le propriétaire.

Ces cliniques sont en général bien connues de nom par les habitants qui parlent d’elles de manière assez négative, que ce soit sur le ton de l’humour ou de la gravité. Qui n’a jamais dit à son prochain : «  t’es dingue, tu vas finir à… », ou bien : «  Il est à l’asile, il est chez les fous… ».

Autrefois appelé asile, c’est en ce lieu que les personnes en souffrance psychologique et psychique étaient ainsi isolées du reste de la population et considérées hors norme tels ces prisonniers placés en milieu carcéral.

 

Je ne vais pas refaire l’historique de la psychiatrie et de l'anti psychiatrie ( des liens externes vous y conduiront si besoin ), mais j’ insiste sur cette notion de norme qui continue à ce que nous placions ces personnes à l’écart et que de ce fait, la majorité de la population ignore qui elles sont et les raisons de leur hospitalisation.

 

  • DES ÂMES ET DES VIES

 

Mes plus grand fous-rires, mes larmes fleuves, mes plus profondes émotions, les rencontres les plus improbables…

C’est derrières ces murs que je les ai vécus.

Chaque fois nous nous disions entre patients qu’il nous serait impossible de raconter ce que nous vivions, impossible de partager ces instants avec les autres. Ces autres dehors.

 

Isolés des autres, nous isolons les autres.

 

J’ai tant appris en observant, en écoutant, en échangeant, en partageant, en riant-criant-pleurant, qu’il me semble aujourd’hui ne plus craindre aucune différence.

 

L’empathie que j’avais depuis longtemps déjà s’est consolidée et n’est plus dangereuse pour moi-même. J’ai pu mesurer sa force et sa fragilité, ses limites parfois nécessaires.

 

La souffrance unit les gens.

Le rire les réunit.

L’ignorance les éloigne.

 

Tous en vie, souvent «  à bout de vie  », le prof de maths fume sa cigarette avec le paysan et l’ado avec la mamie.

Ils sont à la fois, disais-je, vous et moi, l’être social, humain, quelque part sur le chemin de sa vie, avec son histoire, ses croyances et sa personnalité.

 

Dépressions, Troubles du Comportement Alimentaire, Addictologies ( alcool, cannabis, stupéfiants ), Bipolarité, Trouble de la Personnalité Borderline, Schizophrénie, Paranoïa, retards mentaux… tous les gens que j’ai connus derrière les murs souffrent de l’une ou l’autre maladie, parfois combinées entre elles.

 

Durant la première semaine d’hospitalisation, nous ne voulons pas communiquer ni avoir de visites et nous dormons beaucoup grâce aux anxiolytiques et aux somnifères. C’est la phase dite de détente.

Notre état à l’arrivée étant si perturbé que rien ne peut se faire avant que nous soyons prioritairement calmés. Nous mangeons dans notre chambre et dormons à heure fixe, nous restons isolés parce que nous sommes en repli sur nous-mêmes. Nous nous sentons seuls, profondément tristes ou surexcités, passifs ou agressifs, résignés ou volontaires…

Mais quel que soit notre état, nous ne sommes pas encore prêts à élaborer un programme de soins.

 

Alors oui, chaque patient vit des phases diverses tout au long des semaines.

C’est en principe à partir de la deuxième que nous sortons le bout de notre nez en mangeant d’abord à la cantine avec les autres, puis en sortant de la chambre et dehors , en devant souvent régler des problèmes administratifs et enfin en commençant à voir régulièrement notre psychiatre, selon sa disponibilité et sa méthode.

La grande angoisse du patient commence alors à le gagner : comment ça fonctionne ici, je suis paumé, j’attends des heures, je n’ai plus le même comportement avec les médicaments, où et quand voir mon psy, allo y’a quelqu’un ? Etc…

 

C’est un jeu de piste à rendre fou un fou mais comme chaque patient a vécu cela,  certains peuvent aider et orienter l’autre, le nouveau, le nouveau de chaque semaine.

Des liens commencent ainsi à se tisser doucement entre patients. Chaque soir, un petit groupe se forme au fil du temps. Ce groupe change, certains partent et d’autres arrivent. Le petit groupe ainsi formé se retrouve chaque jour à des moments bien définis selon les rythmes et les besoins de chacun et dans ce respect qui s’installe entre eux.

 

Les autres patients ne sont plus à nos yeux seulement des patients.

Leurs personnalités s’expriment, leurs expériences se partagent, chacun finit par parler de lui. Chacun notre tour, nous nous livrerons, écouterons, réagirons.

Nous nous lierons et nous délierons, comme partout nous aurons nos préférences et nos coups de gueule, sans peur du jugement nous pratiquerons l’autodérision ensemble.

 

 

  • DES LARMES AU RIRE

 

Nous rirons de plus en plus forts de nos maux.

 

Je me souviens de cette soirée inoubliable du nouvel an passée dans un gîte avec mon frère aîné. Je devais avoir 18 ans.

Ses potes étaient tous en dehors de la norme. Imaginez une soirée festive avec un schizophrène, deux dépressifs, un paranoïaque, un mélancolique et moi… Leur capacité à mettre en scène leurs troubles et à en rire entre eux m’a fait passer une soirée qui m’a sans nul doute permis de changer de regard sur ces « fous ».

Ils m’avaient ouvert leur porte et leurs bras. Ils m’ont tordue de rire.

 

 

  • LE MONDE DES ÂMES ÉGARÉES

 

La clinique psychiatrique je l’ai connue à 17 ans et je la côtoie encore, que ce soit en me rendant à mes R.V ou en retournant en hospitalisation.  J’ai pris l’habitude de l’appeler «  Le monde des âmes égarées  ».

 

J’aime particulièrement échanger avec les personnes atteintes de schizophrénie.

Lorsqu’elles se sentent en confiance ( ne distinguant pas toujours le monde réel et irréel  ), elles me livrent leurs visions, me parlent de ces voix qui les guident, de leurs goûts et de leurs passions aussi. Un jour j’ai encouragé un jeune homme à écrire tant le monde qu’il me décrivait était riche de beauté de profondeur et d’imagination. Je lui ai parlé de Tolkien car les descriptions précises qu’il me confiait me rappelaient son univers magique. Il était aussi très bon musicien et me faisait écouter ses créations. D’une grande qualité, les paroles de ses chansons étaient le pont qui le reliait au monde des gens normaux. N'étant pas spécialiste je me garderai bien de généraliser ce cas que je relate. Les maladies ont des degrés et des symptômes qui varient en fonction des personnes atteintes. Je ne parle que de ce que j'ai vécu. L'imagination générée par cette maladie est sans nul doute un élément qui fait écho en moi.

 

J’aime aussi ces « Papés » bienveillants souffrant d’alcoolisme ou de dépression, qui te remontent le moral assis sur leur banc, les jeunes papas à la dérive après qu’on leur a retiré leur enfant, l’arménien en fauteuil roulant qui ne dira rien de son passé, le guadeloupéen qui m’explique qu’il a perdu sa jambe à cause des esprits, le musulman terrorisé par les terroristes islamistes dont il est persuadé être la victime et qui le poussera à se barricader chez lui en échafaudant tout un tas de stratégies pour se défendre…

Madame la dentiste, lesbienne issue du milieu catholique, ayant succombé à l’alcool bourgeois, d’une intelligence et d’un humour dont on se délecte.

Puis, j’aime passer du temps avec celle qui est restée au stade affectif de l’enfant, pleine d’amour et de bon sens, avec qui tu ne peux tricher.

 

Derrière les murs, nous pouvons laisser tomber le masque.

 

 

 

  • L’ART POUR THÉRAPIE

 

L’Art n’a pas de frontière géographique ou intellectuelle, l’Art est d’ailleurs très souvent un outil dont les patients se servent aisément.
 

La musique, la peinture et le dessin, la terre, l’écriture… sont à leur disposition et ils sont nombreux à venir aux ateliers d'ergothérapie. Je suis toujours surprise par la qualité de leurs productions, leur profondeur sans fioritures. Créer sans jugements de valeur. Laisser parler ce qui ne se dit pas sans même en connaître le sens. Etre concentré sur le présent.

Pour ma part je ne participe qu'à l'atelier d'écriture. Je suis davantage dans mon corps et je supporte très mal l'ambiance calme qui règne en ergothérapie. 

 

 

  • LE CORPS ET L’ESPRIT

 

Le corps souffrant

 

Le sport est également une ressource qui nous est proposée et vivement recommandée lors des hospitalisations. Si certains patients sont déjà sportifs, sa pratique fait trop souvent défaut à la plupart.

Les personnes en souffrance n’habitent plus leur corps. Elles l’ont déserté voire malmené.

 

L’énergie accaparée par l’esprit fait cruellement défaut physiquement. Le corps et l’esprit forment alors deux blocs en déséquilibre.

 

La paralysie du corps, je l'ai bien connue à diverses reprises dans ma vie. J'ai choisi très tôt la danse parce que j'ai senti que c'était là mon possible langage, mais il m'a fallu bien des étapes avant d'arriver jusqu'à l'expression par le corps.

 

L'accepter, pour vous comme pour moi, n'est pas chose aisée. Qu'il paraisse beau ou non aux yeux des autres ne change pas la donne. Répéter mille fois à une femme qu'elle est belle ne changera pas le regard qu'elle porte sur elle-même.

 

Les personnes souffrant du Trouble de la Personnalité Borderline sont particulièrement en lien direct avec leur corps. Il est le réceptacle des blessures psychiques et devient ainsi le témoin physique, apparent, de ces tensions internes. Lui faire mal c'est à la fois la tentative désespérée de libérer ces tensions insupportables et de le sentir vivant, dans la douleur.

Petite, j'ai très tôt voulu expérimenter la douleur. Je me cognais volontairement le coude ou le genoux, puis, dans un calme quasi religieux, j'écoutais ma douleur s'amplifier dans mon corps.

Ainsi, les scarifications sont les stigmates de notre impossible gestion émotionnelle, du désamour qui est né, pour diverses raisons psycho-affectives, entre le corps et l'esprit.

 

Beaucoup de patients se plaignent de douleurs physiques récurrentes voire quotidiennes et se nichent partout dans le corps : cervicales, nuque, dos, lombaires, sacrum, genoux, pieds... De la tête aux pieds elles nous submergent.

 

Nous somatisons en permanence.

 

J'imagine bien que vous aussi, que vous soyez malade ou non, une émotion forte, une anxiété, un conflit etc... vous provoquent sans doute des maux de tête, des sciatiques, de l'eczéma, et vous ne faites pas forcément le lien entre votre état psychique et ses répercussions dans votre corps. Nous en parlons de plus en plus, de ce lien corps-esprit, du sens accordé aux maux du corps, et les thérapies en tout genre fleurissent, certaines sérieuses et efficaces, d'autres conceptuelles, spirituelles et sectaires, mais c'est un sujet que je traiterai dans un autre article tant il y a à dire.

 

Nos émotions, disais-je, se répercutent sur notre état de santé. Plus elles sont fortes, refoulées, tues, ignorées, plus le corps souffre.

Dans les ateliers de gym,  de sport, d'aquagym, de kinésithérapie et de relaxation auxquels j'ai participé durant mes hospitalisations, j'ai pu observer ces corps. Habituée à le faire en tant que professeur de danse, j'ai vu précisément dans ce contexte clinique l'absence du lien entre le corps et l'esprit des patients. Le corps est douleur et il est donc impossible de le solliciter dans l'effort ou la contrainte. Le patient ne peut pas forcer et tout l'art du prof de sport en clinique psychiatrique est de parvenir, en l' encourageant sans cesse, à le remettre doucement en mouvement, loin de toute performance.

J'ai pu trop souvent noter que cette pédagogie que je prône et défends, n'est pas toujours appliquée. Ainsi j'ai vu des corps en souffrance dans leur peu de tentatives de mouvements, et des regards encore plus désabusés sur eux-mêmes face à ce corps résistant.

 

Corps paralysé, corps bloqué, corps fatigué, épuisé, déprimé, corps oublié, mutilé, meurtri, douloureux, excessivement nourri ou privé de nourriture. ( addictions, boulimie, anorexie, trouble de la personnalité, dépression).

Corps avec un trop plein d'énergie, corps excité, corps poussé au-delà de ses limites, notamment lors des phases montantes ( manie ) des patients bipolaires.

 

Pour le remettre en mouvement, le corps doit agir en conscience, en renouant avec l'esprit, le guide bienveillant. Loin de la performance physique, le mouvement en conscience permet de reprendre possession du corps. Lorsque progressivement, le patient accepte de se remettre en mouvement, il revisite son " Temple ".

J'ai compris un jour que mon corps est ma maison et qu'il me faut en prendre soin. Je n'y parviens pas de manière constante car parfois, mon esprit prend le dessus de manière fulgurante, par une agitation mentale et intellectuelle qui néanmoins me permet d'être hyper créative durant un temps. C'est d'ailleurs précisément dans cet état que j'ai entrepris de créer et de rédiger ce site, en un temps record. Puis à d'autres moments, c'est mon corps qui prend le dessus. Pour certains ce sera l'exercice physique à outrance, pour d'autres, une boulimie alimentaire ou sexuelle.

 

La dépossession de notre corps va et vient telles les vagues, puis la marée se retire. Lors de la marrée basse, l'extrême fatigue paralyse notre corps.

 

 Lire aussi : Avoir un corps ? : https://www.cairn.info/revue-journal-francais-de-psychiatrie-2006-1-page-4.htm#

 

 

L'esprit tourmenté 

 

Lorsque l'esprit est en pleine tourmente, mentale, intellectuelle, psychologique, cognitive, il bouscule à grands coups l'équilibre.

L'équilibre est alors à réguler. En danse, mais particulièrement dans la médecine chinoise, au Japon et chez les Tibétains, il est nommé QI. ( rien à voir avec votre Quotient Intellectuel ! ). " Les Chinois le désignent comme le centre du Qi originel, c'est-à-dire l'énergie qui nous a été léguée par nos parents et nos ancêtres. On le situe traditionnellement à 3 travers de doigt sous le nombril et à peu près au milieu du ventre. Ce centre peut être éveillé par la concentration, le souffle, des mouvements internes d'énergie, mais aussi par des mouvements physiques comme le Qi gong ou le Taï Ji quan . "

 

Toutes les tensions psychiques ou physiques ont leur écho dans le ventre, centre du corps. C'est un centre énergétique, un centre de gravité et un centre émotionnel. Cette zone est d'une importance capitale dans le maintien de la santé physique et mentale."

https://maryline-victor.jimdo.com/le-ventre/

 

Les pratiques telles que le QI GONG, les arts martiaux chinois et japonais, la relaxation, le yoga ou encore la danse thérapie sont autant de possibilités de retrouver notre équilibre physique et mental en complément d'un traitement médical souvent nécessaire.

Malheureusement très rarement proposées dans les cliniques psychiatriques, les patients ont bien peu de chance de bénéficier de ces pratiques qui viendraient en complément à la pratique sportive. Manque de moyens, de formation, manque d'intérêts, je déplore cette carence car je sais, pour l'avoir expérimentée dans ma pratique de la danse , l'importance que revêt cette recherche bienveillante d'équilibre régulateur.

 

Dans le même temps, je constate la discrète mais sûre infiltration de certaines pratiques " New Age " dans le milieu psychiatrique, particulièrement dans le privé : La sophrologie, l'Auto hypnose et le Mindfullness ( Méditation de pleine conscience ) ont le vent en poupe, largement médiatisée par le psychiatre Christophe André, la Méditation de pleine conscience est présentée de manière " laïque " mais conduit aisément au Bouddhisme ou à des  courants pseudos spirituels voire à des dérives thérapeutiques et sectaires. Il faut donc s'assurer que les intervenants en clinique soient bien formés car ces pratiques se révèlent efficaces pratiquées dans un cadre de soin avec un suivi psychologique sérieux. Ces pratiques ne sont pas recommandées à tous les patients et je ne les recommande pas en dehors du cadre clinique !

 

Le travail sur Soi demande beaucoup d'énergie, d'acceptation et de persévérance. Il va sans dire que derrière les murs, chacun s'y emploie selon ses possibilités et son accompagnement thérapeutique.

 

 

 

DERRIÈRE LES MURS, L’HUMANITÉ.